Mon ami dahmer


Derf Backderf a passé son enfance à Richfield, petite ville de l'Ohio située non loin de Cleveland. Au début des années 1970, il entre au collège, où il fait la connaissance de Jeffrey Dahmer, un enfant solitaire au comportement un peu étrange. Les deux ados se lient d'amitié et font leur scolarité ensemble jusqu'à la fin du lycée. Jeffrey Dahmer deviendra par la suite l'un des pires serial killers de l'histoire des Etats-Unis. Arrêté en 1991, puis condamné à neuf cent cinquante-sept ans de prison pour une série de dix-sept meurtres, Dahmer, surnommé "le cannibale de Milwaukee", finira assassiné dans sa cellule en 1994. Mon ami Dahmer est le récit de la jeunesse de ce tueur.

Récit perturbant qui conte les années d'adolescences de l'un des plus sordides criminels américains, Mon ami Dahmer laisse un gout étrange en bouche. Celui d'un enfant perdu dans sa cellule familiale avec ses névroses, celui d'un ado qui ne semble trouver aucun écho pour tisser du lien social parmi les gens de son âge qui l'entoure, celui d'un homme qui accepte d'ouvrir la boite de Pandore et de laisser ses démons envahir son être sans que personne ne s'en rende compte. Lorsqu'une amie m'en avait parlé il y a quelques temps (j'ai d'abord découvert Trashed du même auteur, avant d'essayer celui-ci), j'avais plutôt compris qu'il y avait un peu d'humour dans le contenu (bien que je ne voyais pas bien comment, vu le pitch), aussi à la fin de cet ouvrage je fut quelque peu désemparé. Clairement, rien ne m'a fait rire. Tout y est très sordide et la personnalité de Dahmer fait froid dans le dos.

On y décrit ici une lente ascension de ce dernier vers le point de chute que l'on sent imminent à chaque page. Tout y est fort probablement, fidèle à la réalité, vu que l'auteur a effectivement partagé quelques moments d'existence avec le personnage principal et s'est beaucoup documenté avant de se lancer dans "sa" version de ces années en commun, mais cela n’enlève en rien la sensation de malaise qui se dégage de la lecture, bien au contraire. De l'extérieur, Jeff Dahmer avait juste l’air d’un enfant un peu solitaire, et pourtant quiconque s’y serait intéressé de plus près aurait pu constater que tous les éléments étaient réunis pour un massacre annoncé : une attirance pour les animaux morts, des errances de zombie, un alcoolisme chronique, une mère dépressive, des relations très conflictuelles entre ses parents avant leur divorce, une facilité déconcertante pour assumer en public la honte sociale que provoquait ses imitations démentes. Si personne n’imagine jamais qu’une connaissance ou un proche puisse renfermer un tueur potentiel, ici, c'est surtout que personne ne s’intéressait suffisamment à lui pour relier l'ensemble des points.

Aux antipodes du genre littéraire dans lequel je pensais le classer auparavant (Joe Matt, Seth, Chester Brown...), Derf Backderf (peut être le nom le plus dingue que j'ai vu dans ma vie) consigne les éléments tel un journaliste impartial, créant du liant entre les scènes avec cette petite touche de cynisme crue qui me fait l'effet d'un uppercut dans le bide, mais toujours avec beaucoup de retenue et de justesse. Si j'ai parcouru le livre d'une traite, confirmant ainsi l’intérêt du récit, je ne suis pas certain non plus que le propos dérangeant n'y ai pas été étranger. C'est ce doute qui me dérange dans Mon ami Dahmer : l'idée que je puisse être suffisamment un sale con pour être fasciné par la vie des tueurs en série... Le stade d’après étant de finir sur D8 à regarder Crimes non résolus près de chez vous par Jean-Marc Morandini...

Si vous n’êtes par trop dérangé par le fait qu'autour de vous, le rigolo un peu bizarre que vous côtoyez à la machine à café chaque matin, qui fait ses drôles de bruits de bouche lorsqu'il imite à la perfection le chef de service jusqu'à vous donner des crampes et que vous avez aperçu de votre voiture un peu tard dans un endroit glauque avec un sac poubelle à la main puisse partir en carafe et tronçonner tout le service statistiques un jour et que vous puissiez être happé par l'histoire de sa lente bascule... Allez-y , c'est pour vous, c'est excellent et plus fin que vous ne le pensez.

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