Transmetropolitan


Exilé depuis près de cinq ans loin du fracas de la civilisation, le journaliste Spider Jerusalem est contraint de reprendre le chemin de La Ville. Secondé par ses deux assistantes, Channon Yarrow et Yelena Rossini, l'acide et misanthrope pamphlétaire reprend alors son combat contre les abus de pouvoir, la corruption et les injustices de cette société du 21e siècle qu'il chérit autant qu'il l'exècre. Dans les rues étouffées par le silence médiatique, raisonne bientôt les mots amers et enivrés du plus fervent défenseur de la Vérité.

Transmetropolitan c'est de la bile à l'état brut, c'est de la rage (celle de Warren Ellis? Créateur de Planetary, Stormwatch, Global Frequency, Nextwave, Black Summer...) un crachat à la gueule de notre société titubante, c'est placer une loupe sur toutes nos dérives, personnelles et collectives, c'est appuyer avec l'aide d'un gros doigt dégueulasse sur une plaie purulente mal soignée pour en extraire un liquide suintant, c'est comme un cri dans un orphelinat où les enfants ne se réveillent jamais, comme dans cette fin du premier story-arc, où Spider Jerusalem, après avoir fait éclater une vérité dérangeante (parmi des centaines, le boulot semble immense) au grand jour se fait littéralement défoncer la tronche par l'autorité locale pourrie, mais finit par se relever en leur adressant un gros fuck, en leur vomissant des obscénités.

Transmetropolitan est le porte-voix d'une génération de comics, comme un homme resté muet depuis trop longtemps, qui se libérerai en hurlant, il se fait donc le comics de l'ensemble des saloperies que l'on a envie de "dénoncer"... Même si les sujets sont transposés à la mode d'un 21ème siècle tardif, tout est reconnaissable... Mais derrière cette volonté de tout balancer, le récit en lui même est-il accrocheur? Et bien souvent, oui. Le héros est bien sur hyper charismatique, mélange de colère sans limites, de tristesse refoulée, d'intelligence sournoise, d'humour cradingue, Spider revenu du silence de la montagne pour se replonger tout entier dans la merde (contraint et forcé par son éditeur menaçant de lui couper les vivres), nous laisse entrevoir une facette différente selon le registre de l'histoire et nous surprend régulièrement... Son ADN est constitué de convictions personnelles entières, et lui refuse de céder à de quelconques pressions extérieures. 

Si l'humour est omniprésent, c'est plutôt d'humour cynique dont il convient de parler, d'un ton gras (qui tache), pouvant rebuter pas mal de monde... Les blagues sous la ceinture voire scatologiques fusent, et si on est allergique ou imperméable au genre, il vaut mieux passer son chemin. Ceux qui ne se seront pas enfui au premier chat qui pisse en gros plan sur un combiné téléphonique, trouveront leur compte dans une ambiance unique mélange d'intrigues futuristes et hallucinatoires mâtinées de trash talking abruptes. Warren Ellis est très créatif (autant sur des concepts que sur les situations) et les aventures de Spider Jerusalem sauront vous divertir ou vous émouvoir, voir vous fasciner, le bougre ayant le don depuis sa création de drainer une cohorte de fans, tout comme le personnage du récit. Les illustrations de Darrick Robertson me laissent perplexe, parfois très inspirées, parfois horribles, elles collent néanmoins parfaitement à cet univers de baltringues glauques où le journalisme gonzo est élevé au rang d'art.