Donkey Kong Country


Si Mario est à ce jour le personnage le plus réputé du jeu vidéo, ce serait oublier qu’il n’était jadis que Jumpman, un charpentier gravissant des échafaudages pour secourir sa fiancée Pauline, enlevée par un gorille. On était alors encore bien loin des Mario et autre Princess Peach. Donkey Kong, lui, existait déjà. Fortement inspiré du King Kong hollywoodien, le singe géant tomba pourtant rapidement aux oubliettes, Nintendo ayant bien compris que l’on préférait les héros aux ennemis. Près de treize ans plus tard, Nintendo confie un projet ambitieux à un studio de développement qui connaît quelques difficultés financières, Rareware : ressusciter le plus vieux personnage créé par Shigeru Miyamoto.

En 1994, Donkey Kong connaît donc le second jeu vidéo qui lui est consacré et s’essaie au genre de la plate-forme 2D. Évidemment, quelques retouches ont également dû être opérées sur le modèle original pour faire du singe le héros principal du titre, et non plus un monstre kidnappeur. Ainsi, Donkey a repris des proportions plus naturelles pour devenir un bon gorille retiré dans la Jungle Kongo, au milieu de la smala Kong. La vie est paisible dans sa cabane haut perchée, bien calé dans son hamac, juste au-dessus de la caverne qui abrite son immense stock de bananes. Malheureusement, le cruel King K. Rool et ses sbires kremlins décident de venir briser cette idylle en s’emparant des fruits tant chéris. Fou de tristesse, Donkey décide de partie à l’aventure en compagnie de son ami Diddy, un chimpanzé, et de parcourir la totalité de l’île afin de reprendre possession de son bien. La première chose qui frappe lorsque l’on se trouve face à ce jeu, c’est sa grande beauté. En effet, 1994 est une année charnière du jeu vidéo : les 16 bits s’apprêtent à laisser leur place aux consoles nouvelles générations, les annonces de Sony, de Nintendo et de Sega se faisant de plus en plus pressantes. Misant fortement sur l’aspect technique de sa nouvelle machine qui s’appelle encore « Ultra 64 » à l’époque, Nintendo décide par ailleurs de sublimer la Super Nintendo pour prouver au monde entier qu’il reste le leader incontesté du marché. Donkey Kong Country est alors développé en collaboration avec Silicon Graphics et le résultat est tout simplement époustouflant. Si le jeu conserve une structure en 2D qui oblige les héros à se déplacer verticalement et horizontalement, tout le reste a été modélisé en trois dimensions, avant d’être finalement converti dans un format gérable par les 16 bits de la Super Nintendo. Ainsi personnages, ennemis, objets et décors proposent un graphisme qui s’approche du rendu visuel d’une vraie 3D avec un réalisme inédit.

En compagnie de Donkey et Diddy, le joueur traverse six zones divisées en cinq ou six niveaux : la Jungle Kongo, les Mines des macaques, la Vallée des vignobles, le Glacier des gorilles, la zone industrielle de Kremkroc et Kompagnie et les Caves des chimpanzés. À la manière d’un Mario, cette répartition permet de jouer très fortement sur l’esthétique des niveaux qui ont des airs de forêt tropicale dans la Jungle Kongo et de montagnes enneigées dans le Glacier des gorilles. Cette variété de décors est une force supplémentaire pour ce jeu qui met tous les atouts de son côté au niveau visuel, d’autant plus que chaque arrière-plan foisonne de détails. Rareware a par exemple poussé la minutie de son travail jusqu’à insuffler une forme de vie à ses décors, où l’on peut parfois observer le soleil qui se couche et les éléments se déchaîner. Les ennemis, de leur côté, ont carrément droit à un casting de fin l’espace de quelques minutes tant ils sont nombreux et variés, et leurs animations n’ont vraiment rien à envier à la beauté déjà stupéfiante des décors. À ceci s’ajoutent de nombreux effets de pluie, de neige ou de déformations aquatiques qui donnent un cachet graphique bien singulier à Donkey Kong Country, qui semble pousser la Super Nintendo dans ses derniers retranchements.

Si le mélange de la 2D et de la 3D demeure une prouesse technique hors norme, n’allons pas croire que Rareware a tout donné dans l’esthétique du jeu, qui repose sur des bases très solides en matière de gameplay. À la manière du plombier à moustache, Donkey est capable de sauter mais également de courir en maintenant un bouton, ce qui permet au joueur de bénéficier d’un contrôle redoutable dans la gestion de ses sauts. Ce même bouton, lorsqu’il est pressé pour la première fois, se matérialise par une roulade de Donkey à l’écran : un moyen bien utile pour éliminer des ennemis tout en prenant de la vitesse, mais aussi pour franchir des précipices, puisqu’une roulade dans le vide peut être suivie d’un saut. Une technique qui demande un temps d’adaptation mais qui se révèle très utile au cours de l’aventure, puisque certains objets ne peuvent être obtenus que par ce moyen. Enfin, un mouvement plus anecdotique permet à Donkey de frapper le sol de ses deux mains afin de se débarrasser de certains adversaires ou de faire surgir les objets cachés dans le sol. La principale attraction du jeu ne repose cependant pas sur la présence d’un singe, mais bien de deux ! Diddy, en effet, ne se contente pas de suivre Donkey, mais offre au joueur une alternative intéressante pour mener l’aventure. Disposant pratiquement des mêmes mouvements, si l’on excepte la frappe au sol, Diddy s’illustre par une légèreté et une rapidité qui font défaut à Donkey. En revanche, ce dernier est capable de vaincre les ennemis les plus gros en leur sautant dessus, tandis que Diddy se contente de leur arracher un bon gros rire en les chatouillant. Pour le coup, le maniement des deux singes présente de réelles différences qui offrent un plus évident à la variété de gameplay. Pour passer de l’un à l’autre, il suffit d’appuyer sur le bouton select : les deux compagnons se tapent alors dans la main et se passent le relais.

Cette diversité est encore renforcée par la présence d’autres alliés : quatre animaux que les deux héros peuvent monter afin de bénéficier de leurs pouvoirs. Engarde, l’espadon, affine les déplacements en milieu aquatique en offrant plus de rapidité et l’unique possibilité de se débarrasser des ennemis ; Rambi, le rhinocéros, défonce ennemis et murs grâce à sa charge brutale ; Winky, la grenouille, fait des bonds démesurés et peut éliminer les abeilles habituellement trop dangereuses pour les deux singes ; Expresso, l’autruche, avance à vitesse grand V et peut planer sur de courtes distances pour atteindre des passages inaccessibles. Chacun de ces animaux bénéficie de sa propre maniabilité qui enrichit considérablement le jeu en variant encore les plaisirs. À ces quatre animaux s’ajoute Squawks, le perroquet, que l’on retrouve dans les épisodes suivant de la série mais qui n’est pas jouable ici, puisqu’il se contente d’agripper une lampe entre ses serres pour éclairer d’obscures cavernes. Tantôt à dos d’animaux, tantôt à pied, les deux amis voyagent aussi très régulièrement en tonneaux. Le clin d’œil à la borne d’arcade, où Donkey lançait de tels objets pour ralentir la progression de Jumpman, est évident. Dans Donkey Kong Country, le tonneau est au centre du gameplay et se décline sous de nombreuses formes : tonneaux étoilé à détruire pour activer un chekpoint, frappé du sigle « DK » pour libérer son partenaire, ou en bois tout simple qui n’attend que d’être saisi pour être lancé sur un ennemi, il est un allié de tous les instants. D’autres, impossible à détruire et insaisissables, attendent en l’air que Donkey et Diddy y pénètrent pour les projeter à toute vitesse à travers le niveau. Un moyen d’éviter les embûches, ou de découvrir de manière inopinée des bonus bien cachés. Des bonus ?

Oui, car telle est la grande force de Donkey Kong Country. On ne parle pas, ici, des dizaines d’objets que l’on peut récolter tels que les ballons, les bananes, les lettres du mot « Kong », les tonneaux et autres joyeusetés. Non, on fait référence à ces zones secrètes qui attendent le joueur, bien cachées dans leur niveau, et qui viennent gonfler le pourcentage de la page d’accueil pour attester du fait que le joueur en découvre les mystères. Un baril canon mal exploité, un tonneau mal lancé suffit pour découvrir l’entrée d’une zone secrète. Leur intérêt, somme toute, est minime : elles permettent simplement de participer à une épreuve et de gagner des vies, ce qui semble bien anecdotique dans un jeu où les continus sont infinis. Pourtant, ces bonus constituent la base même du système de la série des Donkey Kong, qui ne sera jamais démenti par la suite : ils sont le défi ultime du joueur, celui qui le forcera à se surpasser pour atteindre le chiffre incroyable non pas de 100, mais de 101% une fois tous les secrets découverts. Une quête de tous les instants, qui impose d’être à l’affût de la moindre banane étrangement placée par les développeurs, et qui pourrait indiquer l’entrée d’un passage habilement dissimulé. Peut-être…

VERDICT
Donkey Kong, finalement, a permis à deux références du jeu de plate-forme de voir le jour : Mario, décliné depuis en de nombreux épisodes 2D et 3D, ainsi que Donkey Kong Country, certainement la plus belle perle de la Super Nintendo en compagnie des deux épisodes qui le suivront. Un gameplay sans défaut allié à une esthétique de rêve, telle est la recette osée et pourtant parfaitement réalisée par Rareware qui acquiert à cette occasion ses premières lettres de noblesse. Tout autre commentaire se révélerait inutile concernant ce jeu. Seule la manette entre les mains permet d’en apprécier la quintessence.

Plateforme : Super Nintendo
Editeur : Nintendo
Développeur : Rareware
Genre : Plates-formes
Sortie : 1994

Le King K. Rool a volé les bananes de Donkey qui décide alors de partir à sa recherche pour les récupérer. Deux personnages sont jouables : Donkey et Diddy. Donkey est plus grand et plus fort alors que Diddy est plus rapide. Il est possible de jouer à deux, soit chacun son tour, soit en équipe. Des animaux vous aideront à franchir certains niveaux et à vaincre les Kremlings. Un jeu de plates-formes culte.

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