Angry bird 2

Il est fini le temps des lancers d’oiseaux dans l’insouciance… Finies les parties interminables… Maintenant il faut payer ou se vendre aux publicitaires. Je parle bien sûr d’Angry Birds 2 et son nouveau business model. Ils sont forts chez Rovio.

Certains diront que ce n’est pas nouveau, que Rovio aurait pu le faire bien plus tôt, ou que le jeu reste en « free-to-play » de toute façon. Mais pour la plupart des gens, en particulier pour les fans de la franchise Angry Birds et de ses premiers jeux Angry Birds, Angry Birds Seasons, Angry Birds Rio, Angry Birds Space et les excellents Angry Birds Star Wars I et II, c’est une énorme déception. Fini les tentatives à n’en plus finir pour obtenir trois étoiles sur un niveau difficile, en recommençant le niveau dix, vingt fois ou plus jusqu’à obtenir le tir parfait. Ce sont les perfectionnistes qui sont les plus déçus.

Dans cet article, nous allons présenter les nouvelles limitations du jeu, décortiquer son business model, et surtout expliquer la manipulation marketing qui se cache derrière, et la machine à fric que le jeu est devenu.

Qu’on se le dise, une machine à fric le jeu l’était déjà, mais principalement grâce au merchandising. Vous savez, ces peluches, T-shirts, figurines et autres jeux pour enfant qui ont envahi les Toys R us, King jouet et compagnie (en fait pas seulement, on peut en retrouver partout, voir cet article avec plus de 80 exemples…). Dans certains jeux, comme Angry Birds Star Wars, certaines permettent même de débloquer de nouveau personnages à l’aide d’un QR code. Ils sont forts chez Rovio.
Du coup, tout ce qui leur importait c’était de faire jouer un maximum de gens et le plus longtemps possible, puisque les publicités étaient intégrées au jeu à certaines étapes, et qu’il suffisait de jouer constamment pour voir un maximum de pubs, et générer du profit pour Rovio.

Mais plus de la moitié de leur chiffre d’affaires de 2013 (173 millions d’euros) était du à leur merchandising. Celui-ci s’est fortement essoufflé avec une chute de 43 % des ventes en 2014, et malgré une augmentation de 16 % des revenus provenant des jeux, la société a vu son CA baisser à 158 millions d’euros. Il fallait donc s’attendre à une année 2015 beaucoup plus agressive…
C’est chose faite avec Angry Birds 2 dont le modèle économique devrait générer beaucoup plus de revenus.

Les nouvelles règles du jeu

Dès le début du jeu, le ton est lancé. On est offert des « rubis » quotidiens, que l’on peut doubler en regardant une vidéo publicitaire. On va voir plus loin que c’est le point le plus malin de toute la stratégie, et le plus manipulateur…
Car a ce stade, on est pas obligé de regarder la vidéo, mais cela va changer.

Le premier changement qui choque : le nombre de vie est limité à 5. Impossible donc de rejouer autant que l’on veut comme c’était le cas dans les précédentes versions.

La première fois que l’on perd un niveau, on nous présente deux options pour continuer à jouer.
Utiliser des rubis pour obtenir 3 nouveaux oiseaux, ou bien regarder une vidéo publicitaire pour obtenir 1 nouvel oiseau.
Évidemment si l’on a pas assez de rubis, on est coincé et obligé de regarder la vidéo.
D’où l’intérêt d’accumuler les rubis en regardant une video à chaque « cadeau » quotidien !
La seconde fois que l’on perd un niveau, on va vite déchanter :

Plus de vidéo ! Il faut absolument avoir des rubis, sinon on perd une vie…

Que se passe-t-il lorsque l’on a plus de vies ? On peut obtenir une vie en attendant 30 minutes (généralement moins ceci dit car le compte à rebours semble commencer au lancement du jeu), ou bien sûr obtenir une vie en regardant une vidéo…

Ici deux options : l’impatient va certainement lancer une vidéo, puisqu’il est plus rapide d’attendre une minute que vingt, et le plus malin va arrêter de jouer et attendre les trente minutes.
A noter qu’après l’attente, on n’obtient qu’une vie…
Bien heureusement, perdre toutes ses vies n’oblige pas à refaire tous les niveaux depuis le début, ouf.

Et c’est là tout le génie de la manipulation en question : les vidéos publicitaires ne sont pas forcées (enfin, généralement, il y a parfois des vidéos forcées entre les niveaux mais celles-ci sont plus rares). C’est le joueur qui doit faire le choix de les regarder. Lorsque l’on perd un niveau, on a le choix entre voir une vidéo, si l’on pense pouvoir finir le niveau avec juste un oiseau supplémentaire (une sorte de joker), ou en « acheter » 3 avec des rubis. Pourquoi pas 3 oiseaux avec une vidéo ? Car cela permet de diminuer le stock de rubis et pousser le joueur à choisir de regarder une vidéo lors du « cadeau » quotidien pour accumuler les rubis… On remarque également qu’une vie coûte aussi cher en rubis que des oiseaux !

Forcer la main, mais laisser le choix : la manipulation ultime

Accrochez-vous à votre siège, vous aller réaliser jusqu’où la manipulation peut aller…

Notez bien que ceci est valable pour de nombreux jeux et pas seulement Angry Birds 2.
Lorsque l’on commence le jeu, les niveaux sont presque toujours très faciles. Dans Angry Birds 2 il y a même une amélioration dans l’ergonomie puisque nous sommes régulièrement accompagnés par une petite main qui nous montre où cliquer (ou toucher) pour nous familiariser avec le jeu et même des personnages donnant des « astuces » qui nous familiarisent avec les règles. Cela rend les premiers niveaux non seulement faciles, mais aussi très agréables puisque nous gagnons systématiquement. C’est un point clé. Notre cerveau associe alors l’expérience du jeu à une pratique, gagner, qui active le système de récompense du cerveau via la dopamine : nous prenons du plaisir.

3 étoiles
3 étoiles. Quel plaisir 🙂

Petit à petit, les niveaux deviennent plus difficiles, et l’accompagnement est de moins en moins présent. Après tout, une fois que l’on a compris les règles de fonctionnement, plus besoin d’aide et on ne va pas jouer à des niveaux faciles pour toute la durée du jeu, il est normal que la difficulté augmente. Sauf que le plaisir prit à jouer et à gagner possède les mêmes effets psychologiques et physiques qu’une drogue… On devient accro.

C’est alors que les niveaux du jeu commencent à devenir assez difficiles, et la frustration commence à montrer le bout de son nez. Mais ce n’est pas une mauvaise chose, puisque lorsque la frustration augmente, le plaisir devient également plus intense lorsque l’on parvient à gagner après des efforts plus importants. Mais cela augmente la dépendance.

Flappy Bird
L’atroce Flappy Bird. Ne sous-estimez pas la difficulté à prendre une capture d’écran sans faire plonger l’oiseau…

Avez-vous déjà essayé le jeu Flappy Bird qui a défrayé la chronique il y a quelques années ? C’est un exemple assez extrême de jeu addictif : malgré que le jeu soit intrinsèquement très difficile (il demande une très bonne coordination oeil/mouvement/rythme), son apparente simplicité extrême rend l’expérience très frustrante, et on ne peut pas s’empêcher de réessayer !

Mais Flappy Bird est un exemple plus innocent, car celui-ci ne monétise pas autant notre frustration (pas de microtransactions dans le jeu, « seulement » des pubs). C’est là qu’Angry Birds 2 se distingue. Encore une fois, ce n’est pas le premier jeu à le faire, candy crush par exemple est une autre machine à fric basée sur le même modèle. Mais Rovio apporte une nouveauté : le choix de regarder de la publicité.

Donner l’illusion du choix est une méthode de manipulation évidente et très pratiquée dans d’autres domaines. Elle est même utilisée par chacun d’entre nous, consciemment ou non dans des situations courantes de la vie quotidienne. Déjà eu du mal à motiver votre enfant à faire ses devoirs ? Demandez-lui s’il préfère commencer par le français ou les maths, et vous verrez qu’il sera étrangement plus motivé à se lancer que d’habitude ! (bien entendu tout le monde n’est pas sensible à cette méthode, c’est souvent le cas, mais il y a toujours des exceptions suivant les situations)
Le choix donne une impression de contrôle. Il est généralement plus facile d’accepter de subir une contrainte si c’est un choix, car nous avons derrière ce choix une bonne raison de le faire (généralement).
Remarque : attention un excès de choix peut avoir l’effet contraire et geler toute décision…

Du coup, lorsque le jeu propose son « cadeau » quotidien de rubis tout en laissant le choix de doubler la mise en regardant une vidéo, le joueur est plus ouvert à l’expérience que dans le cas d’une vidéo forcée. Il a la liberté de le faire, moyennant un gain (les rubis). Et de même, lorsque le jeu est devenu addictif et que l’on a plus d’oiseaux, ou plus de vies, le choix entre regarder une vidéo publicitaire ou utiliser des rubis (ou en acheter par microtransaction) est une option qui peut paraître bienvenue.
Surtout pour Rovio qui monétise le choix dans tous les cas !

Et évidemment, le summum de la manipulation c’est que les oiseaux et vies coutent beaucoup de rubis, donc leur nombre diminue rapidement et il viendra forcément un moment où l’on devra choisir entre la vidéo et acheter des rubis, choix qui aura infiniment plus de probabilités de se terminer par le visionnage d’une vidéo plutôt que d’abandonner le jeu pour ceux qui se refusent à céder aux microtransactions. Il y a fort à parier que le nombre de récompenses en rubis diminue sensiblement au cours du jeu… pour forcer un peu plus la main.

Ah et j’oubliais : Vous êtes-vous déjà écœuré à manger trop de bonbons ou de chocolat ? C’est très naturel. Il faut un minimum de restriction et de contrôle pour apprécier certaines choses sans tomber dans la boulimie qui peut transformer une activité agréable en une désagréable à force.
Cela explique pourquoi Rovio nous force à attendre trente minutes pour obtenir une nouvelle vie : pour augmenter la frustration et nourrir l’addiction, pardi ! Ils sont forts chez Rovio.

Le modèle freemium et free-to-play, un piège abscons ?

D’après Wikipedia, « le freemium (mot-valise des mots anglais free : gratuit, et premium : prime) est une stratégie commerciale associant une offre gratuite, en libre accès, et une offre « Premium », plus haut de gamme, en accès payant ». Généralement limité dans sa version gratuite, le reste du jeux (ou de nouvelles fonctionnalités) se débloquent en payant.

La variante free-to-play permet de jouer gratuitement pour toute la durée du jeu (généralement le jeu n’est pas limité), mais offre de nouvelles fonctionnalités ou des contenus virtuels en échange de microtransactions (on paie seulement pour les fonctionnalités additionnelles en option).

Dans l’ouvrage « petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens » (R-V. Joule et J-L. Beauvois), les auteurs décrivent ce qu’ils appellent le piège abscons comme un processus de dépenses caractérisé par les points suivants :

1. On prend la décision de s’engager dans un processus de dépenses avec un objectif.
2. L’objectif est incertain. Il peut être atteint ou pas du tout.
3. Chaque dépense semble nous rapprocher de l’objectif.
4. Le processus se poursuit, sauf si l’on prend la décision de l’arrêter.
5. Pas de dépense limite fixée au départ.

Cela vous rappelle quelque chose ? Les jeux concours par SMS ! C’est une spirale d’engagement qui n’en finit plus…

Un autre exemple plus concret : vous attendez le bus à un arrêt. Au bout de 5 minutes vous vous dites qu’il ne va pas tarder. Au bout de 10, tiens il est un peu en retard, bon je suis pas à 5 minutes près. Vingt minutes plus tard, bon c’est un peu abusé, mais si je pars maintenant il y a des chances pour qu’il arrive juste après que je soit parti ! Une demi-heure passe et vous vous dites, j’ai pas attendu tout ce temps pour rien, il va arriver c’est sûr, au pire je prendrai le prochain. Finalement vous avez le prochain bus 45 minutes plus tard et vous réalisez que vous n’étiez qu’à 15 minutes à pied… C’est une spirale d’engagement, un piège abscons (la dépense c’est le temps).

Et bien c’est la même chose en jouant à Candy Crush ou Angry Birds 2 ou tous les jeux free-to-play avec micro transactions… On peut vite se retrouver à dépenser beaucoup trop d’argent dans un simple jeu qui aurait couté moins cher à l’achat qu’au format free-to-play freemium !

Quelques stratégies de jeu ou comment éviter un peu cette manipulation

Alors comme ça, Rovio nous manipule… Et bien ne jouons pas à leur jeu en jouant à leur jeu. Hum. Bref. Voici quelques stratégies pour optimiser votre durée de jeu et limiter le contact avec la publicité (sans tricher avec des apps ou en changeant l’heure de son téléphone ou de sa tablette pour diminuer l’attente 😉 )
Pour les dépensiers, nous verrons ensuite comment dépenser moins dans le jeu.

Pour le joueur en galère : il faut lancer le jeu tous les jours et doubler le nombre de rubis du « cadeau » quotidien en lançant une video. Même sans jouer (et faire ceci à chaque fois que l’on joue). Pas le choix, il faut stocker ces rubis !
Lorsque l’on perd un niveau, il ne faut pas hésiter à lancer une vidéo lorsqu’un seul oiseau peut permettre de finir le niveau (pas si le niveau est perdu dans un des premiers stages car un oiseau ne changera rien…). N’acheter des oiseaux avec des rubis que s’il y a pas mal de rubis en stock. Sinon perdre une vie volontairement (kamikazeeeee) et recommencer le niveau, à condition d’accepter de perdre toutes ses vies après plusieurs itérations et de patienter un peu…
Le joueur expérimenté qui est le roi des trois étoiles en un coup peut lui se permettre de ne pas accumuler les rubis systématiquement. Il passera plus facilement les niveaux et pourra éviter de regarder des vidéos. S’il perd toutes ses vies, il y a des chances qu’il jouait déjà depuis trop longtemps donc une petite pause peut faire du bien (au risque de nourrir l’addiction^^) !
Enfin, pour le dépensier invétéré, le secret pour ne pas tomber dans le panneau du piège abscons est de se fixer un budget au préalable. C’est tout bête (et encore faut-il s’y tenir), mais définir un budget mensuel semble plus raisonnable que de sombrer dans les factures et déprimer en comptabilisant ses dépenses. Ceci-dit, c’est tout de même déplorable d’être forcé à donner beaucoup d’argent pour un jeu qui aurait couté très peu avec un ancien modèle économique de type jeu payant illimité…
Quoi qu’il en soit, la jouabilité est tout de même très détériorée pour les boulimiques du jeu qui passaient des heures sur les premières versions d’Angry Birds, même si les graphismes sont toujours excellents et l’univers toujours aussi attachant, on souffre beaucoup de ce nouveau business model.

Cet article est basé sur un chapitre sur la notion de piège abscons du livre blanc à venir « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes commerçants ». Intéressé ?